Chers lecteurs, voilà un exercice que j’affectionne tout particulièrement : avoir la chance d’interviewer une des personnes qui m’ont appris ce que je sais en roller. Que dire sur Serge ? Quand je suis arrivé adolescent au Trocadéro, il fût avec Jeff (JeF) Licard une des deux personnes adultes qui m’ont le plus influencé. A vrai dire, je pense que Serge m’a appris, comme à beaucoup d’autres, les bases du slalom tel qu’il était à l’époque, notre génération s’étant ensuite chargée de l’amener à un niveau supérieur.
C’est avec un grand plaisir que j’ai pu réaliser le portrait de ce patineur complet et engagé, qui m’a permis de replonger dans une des périodes les plus stimulantes de ma vie rollerstique…
Peux-tu te présenter ? D’où viens-tu ? Que fais-tu dans la vie ?
Serge Rodriguez, né en 1959 à Toulouse (31). Je suis fonctionnaire et père de deux filles patineuses, Julie et Laura. Veuf de Marion Thuriot en février 2004.
Je suis un Quadlineur. Pour moi « Le roller raccourcit toutes les distances ». Vous pouvez me retrouver sur Facebook.
Comment as-tu découvert le roller ?
Je découvre à l’âge de 6 ans les joies de la glisse sur le goudron avec des patins à roulettes (oui, ceux munis de lanières). Je passe ensuite au patin à glace. Fin des années 70, la vogue du skate est en France : c’est l’occasion pour le patineur à glace que je suis de troquer mes lames contre les roulettes. Cela me permet de sortir de l’espace plat et clôturé de la glace pour aller arpenter le bitume parisien et glisser en toute liberté sur l’asphalte de la capitale.
Je décide donc de débuter le « Rollerskate » (ainsi nommé dans les années 80). Ma première paire est de la marque Stratos (hyper lourde, difficile de faire des miracles avec…). Mes premiers tours de roues, je les effectue sur les allées de la reine Marguerite dans le Bois de Boulogne.
Je suis séduit par ce nouveau loisir urbain qui permet d’arpenter l’espace parisien en jonglant entre trottoir et chaussée. Il se joue du code de la route et de l’encombrement de la voirie. Dans les années 80, la pratique du roller était considérée comme puérile et classait au rang de « marginal » tout pratiquant adulte : cela me motiva encore plus, poussé par mon esprit rebelle (le roller est la meilleure façon de ne pas marcher au pas).
Je continue mon apprentissage sur un des spots parisiens « la Dalle MONTPARNASSE ». Là j’y rencontre d’autres rollers-skateurs passionnés, notamment : Michel Garnesson (le métronome), Alain Cref (GZU), les Jumeaux (grands rollers danseurs) Richard, Sébastien (Gros bébé) ,Hubert (Crapaud), Éric (Smoz) Nels, Vincent, Joël, Franck, Marc, Jean-Jérôme, Cécile, Chun, Maria, Michel Didier, Alexandre, Jean-Michel… J’en oublie beaucoup …, (tous de futurs « Randonneurs fouS»). Autant la randonnée que le jeu de l’épervier deviennent pour moi un mode d’expression.
Mon passé de patineur à glace me permet de progresser rapidement sur mes roulettes et donc de découvrir l’autre spot de la capitale, temple du roller parisien, le « TROCADERO » (trois quatre zéro). Sur ses descentes j’y apprends le slalom (avec Zola, Pingouin, Jean Leblanc, Roy, JeF, Jérôme, Maxime, Sylvain (Rahan) , …) . Au début nous patinions avec canettes ramassées ça et là et disposées en ligne droite ou en S. Elles font partie du spectacle et n’échappent pas aux regards des touristes venus voir la tour Eiffel. Pour agrémenter le spectacle, je lance l’idée de slalomer sur les tranches des roues extérieures de chaque patin : une nouvelle technique est née (NDR : reprise et améliorée par les slalomeurs suivants) .
Je profite aussi de l’espace plat pour m’essayer à la danse grâce à la tribu des danseurs parisiens : Cacahuète, Mouss, Stella, Ben, Serge, Cina,… Le Crazy Leg devient ma figure préférée.
Je monte aussi quelquefois sur la dalle en haut du Troca pour saluer les prouesses des sauteurs (Benji, Tony Boy, Bo,nzaï, Taïg, Gustavo …) au-dessus des barrières Vauban.
Je deviens vite un aficionado du « rollerskate» on me croise sur les principaux spots parisiens et dans les rues de Paname à n’importe quelle heure.
En plus du quad tu fais aussi du patin en ligne. Pour quels usages utilises-tu un patin ou un autre ?
Je me suis mis au roller en ligne en 1993 quand la marque Rollerblade tente son entrée en France. Avec le lancement d’une nouvelle image du roller (le Roller inline avec toutes les protections), Rollerblade démarche l’association Rollermania : elle recherche six patineurs pour un contrat de six mois afin de participer à une campagne de promotion. Je suis parmi ces six patineurs et c’est là que je chausse pour la première fois des rollers en ligne (j’apprends facilement, car mon passé glace et quads sont un atout majeur). Depuis j’ai souvent utilisé les rollers en ligne pour randonner, arpenter les courbes en roller-park et aussi pour mes cours (RSI, Paris-plage, Paris-slide…). En effet la grande majorité des élèves utilisent des rollers en ligne. Je continue de chausser mes quads pour la pratique de la danse, quand j’ai envie de faire des tranches en slalom, de transpirer en randonnée ou quand je partage un moment de Roller Derby.
Roules-tu encore en quad ? Si oui avec quels quads ?
Oui ! Je roule avec mes anciens quads composés d’une bottine d’artistique en cuir (CF5) montée sur platine Lazer.
Depuis tout petit, tu roules en quad… si tu devais remonter LA paire ultime, ça serait quoi ?
La paire de quad ultime c’est pour moi une utopie. J’imagine une paire de chaussure mi-haute thermo-moulée (offrant un confort maximum), indestructible. Elle permettrait la marche en se désolidarisant de la platine en un mouvement, sans que le système affecte la connexion platine-chaussure. Elle serait montée sur une platine aussi légère que solide.
Le patin serait équipé de roues de 65 mm, semi-dures avec des roulements de grande précision résistants aux pires slides.
Quels sont tes meilleurs souvenirs en quads ?
Mon investissement pour le roller s’étalant sur plus de 30 ans, je ne relaterais pas tous les merveilleux souvenirs que m’a offert la communauté roller. Citons ceux des années quads et les principaux :
Les randonneurs fous
Comme je passe mes journées sur roulettes, je rencontre d’autres passionnés avec lesquels nous arpentons les rues de Paris la semaine au gré de nos fantaisies. Régulièrement nous nous retrouvons le weekend pour dévorer le bitume au travers de randonnée allant de 50 à 90 kilomètres, effectuées dans la journée. Cela donne naissance au groupe des « Randonneurs fouS » : notre logo représente une « Tortue » et chacun le porte en badge sur le laçage de son patin. notre ambition est « la reconnaissance du roller comme mode de déplacement » (seulement notre esprit libertaire nous empêche de déclarer ce groupe comme association loi 1901…). Sous l’appellation « les randonneurs fous », nous réalisons entre 1984 et 1990 des randonnées sur plusieurs jours pour effectuer de longues distances : Paris Grenoble, Le tour du lac Léman (180 Km en 10h), Paris Biarritz, Paris- Boulogne sur Mer, Paris Nice, Paris Bordeaux, Paris le Havre, Paris Brest, Paris Fécamp, Paris Londres, Etc.
Montparnasse et le Trocadéro
Sur la dalle Montparnasse la population roller ne cesse de croître. L’épervier et le Street Hockey sont les principales pratiques. Elles me permettent rencontrer encore plus de passionnés. Avec certain de ces aficionados du Rollerskate nous ressentons le besoin de créer une association loi 1901 pour faire reconnaître le roller en tant que mode de déplacement. Après une tentative ratée (l’association Apache), Richard Piauton me persuade de le rejoindre pour co-fonder avec Marion Thuriot, Adeline Le Men, Géraldine Lusardi, Jean François Licard et Sam Nieswizsky l’association parisienne » Rollermania « . Celle-ci a pour but « l’intégration du roller dans le paysage urbain ». Grâce à cette association, nous officialisons les randonnées (sauvages) parisienne du vendredi soir qui partent dans un premier temps de Montparnasse puis ensuite de la place d’Italie (je tiens au passage à tirer mon chapeau à l’association « Pari roller » car elle a pérennisé cette randonnée devenue la « FNF »). Nous organisons aussi chaque dimanche une randonnée découverte à la journée, avec un pique-nique. Cette dernière devient la première « Randonnée Organisée Régulièrement » (ROR). L’association se développe aussi au Trocadéro : l’école de patinage et le perfectionnement slalom (qui débouchera sur la pratique d’une véritable discipline).
– La création de la CNRA suivis par la co-fondation de « RSI »
Suite à l’augmentation du nombre de pratiquants en slalom et saut dans certaines régions françaises, aidé des cadres de l’association de Rollermania, (Adeline, Marion, Géraldine et Jean-François), nous nous associons avec le roller Team la Défense (Michel Fize et Christian Debaeker), les clubs de Laon (Gérald) et de Reims (Nicolas Wiegrich). Notre démarche est la reconnaissance par la FFRS du roller acrobatique (saut et slalom) afin que nos « elfes de la rue » aient leur terrain fédéral d’expression. Assez rapidement est se constitue (non sans d’âpres discussions) la « Commission Nationale de Roller Acrobatique ». Je participe à la réalisation du premier règlement pour la création des Coupes de France et du championnat de roller acrobatique. Puis je fais partie des premiers juges, ce qui m’oblige à passer quelques weekends dans certaines villes françaises avec le co-encadrement (merci JeF, Géraldine, Adeline) des compétiteurs de « Rollermania ». Pré-ados, adolescents et jeunes adultes : de sacrés phénomènes qui m’ont laissés de grands souvenirs ! J’exerce aussi la fonction de juge roller acrobatique (« de la maîtrise du déséquilibre naîtra une liberté futuriste »).
Après l’aventure Rollermania suivra l’association « RSI » dévolue à l’enseignement du roller de rue, que je co-fonde avec Adeline Le Men, assistés par des moniteurs roller : Laurence Sabas, Jean-Marc Gravier, Fabrice (Beaugoss), Geraldine (Gégé) Sylvain Nyai, An’So, Victor Francisco, Marc Danoy, Audrey (Mini), Jean-Christophe Blanc (Arollo).
La presse
D’autres souvenirs comme ma collaboration avec les magazines : Rollermag, Roller Saga, Ridemag, Rollerskate ainsi que l’écriture d’ouvrages destinés au roller : « Vivre en roller », « le roller à Paris », « Roller », « Glisse urbaine », « le livre blanc du roller », et le catalogue de l’exposition sur les sports de glisse urbaine « béton hurlant » sont aussi de bons souvenirs roller. Et pour finir bien sur ma remise de la médaille de la ville de Paris pour mon implication associative pour le roller et ma récompense de la FFRS lors du centenaire de la FFRS. (un petit souvenir pour Alain Pigeyre avec qui j’ai travaillé sur les mises en place du BEF et Be rando)
Quand j’étais ado, tu m’as appris les bases du slalom au Trocadéro. Peux-tu nous parler de l’ambiance dans les années 90 avec Rollermania ?
Grand souvenir l’époque Rollermania. C’était avant tout une grande famille montée sur roulettes : elle partageait une passion qui était le roller. Tous les dimanches matin nous nous retrouvions au Trocadéro pour patiner : slalom, saut, épervier, hockey, chat … tout était bon pour s’amuser en patinant. A côté il y avait ceux qui voulaient progresser en slalom, s’entraînant pour sortir des figures qui envoient : ceux-là on fait la réputation de Rollermania. L’association trustait beaucoup de podiums. Voilà quelque prénoms (certains se reconnaîtront) : Marjorie, Ariane, Iris, Clémence, Vanessa, Agnès, Gabrielle, Géraldine, Roy, Arnaud, JeF, Walid, Franck, … la liste est encore longue. (NDR: à cette époque nous nous retrouvions même s’il pleuvent, ou pire même s’il neigeait !).
Le mot de la fin ?
J’espère que le roller arrivera à trouver une bonne place dans le paysage urbain et qu’il soit reconnu comme mode de déplacement. Je souhaite qu’un jour les pratiquants roller puissent emprunter légalement les pistes cyclables.
Concernant la pratique sportive mon souhait est que les instances municipales acceptent que le roller soit pratiqué dans leurs gymnases avec des créneaux horaires réguliers. Comme pour les autres disciplines, pour le quad, il est important que les municipalités comprennent l’élan du Roller Derby. Il faudrait qu’ils ouvrent les portes de leurs équipements sportifs à cette nouvelle et très médiatique pratique (contrairement à la ville de paris qui ne fait RIEN pour développer le Roller derby).
Enfin un de mes grands regrets est de ne pas avoir réussi à co-écrire « le roller pour les nuls », dans la collection les nuls, malgré trois tentatives en trois ans.
NDR : ce portrait est dédié à la mémoire de Marion. Nous avons aussi une pensée pour Titi, récemment décédé, qui fût une figure des randonnées Roller et Coquillages.
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